Rapports du proces

31 Juillet 2009

Entrevue avec Fatou Bensouda, Assistante du Procureur de la CPI

Par Rachel Irwin

L’Assistante du Procureur de la CPI – Fatou Bensouda a assisté presque tous les jours aux sessions au cours desquelles le Parquet portait les accusations à l’encontre de Thomas Lubanga, sessions qui se sont achevées le 14 juillet. Elle aurait récemment parlé au site Web du Procès Lubanga au sujet de la controverse portant sur les accusations de violence sexuelle, les défis lié à la protection des témoins ainsi que la raison pour laquelle la participation des victimes est importante. 

Rachel Irwin : Le problème de la violence sexuelle dans les camps de formation de Lubanga fut omniprésent tout au long du procès, malgré le fait que les accusations portées contre Lubanga soient de tout autre nature. Le procureur s’est concentré sur la question dans son discours d’ouverture, et la plupart des témoins ont témoigné du viol des petites filles nouvellement recrutées. En mai, les représentants des victimes ont demandé aux juges de
« requalifier » les accusations portées contre Lubanga d’esclavage sexuel et de traitement cruel et inhumain, puisqu’ils disent que des preuves existantes révèlent l’existence de ces infractions additionnelles.   Le 14 juillet, les juges ont décidé que cela était faisable juridiquement. Pouvez-vous commenter sur ce nouveau déroulement ?

Fatou Bensouda : Je pense que nous sommes tous sur les nerfs depuis que le début du procès le 26 janvier, vu la gravité du problème de l’esclavage sexuel et de la violence sexuelle dans le contexte du recrutement des enfants. Nous avons également indiqué que des preuves [de cela] seraient révélées au fur et à mesure du procès.

Notre position reste et demeure que si l’accusé est condamné pour les accusations existantes portant sur le recrutement et la conscription d’enfants-soldats, la Chambre retiendrait pour le moins, au moment de décider la sentence, ces faits comme circonstance aggravante. Cela a toujours été notre position et nous pensons que tenir compte de [la violence sexuelle] permettrait d’obtenir une sentence très lourde.  Nous espérons que la décision de la Cour reflétera la réalité de la violence sexuelle et du traitement inhumain qui ont été imposés aux [enfants-soldats].

Mais en ce qui concerne la décision de la chambre d’audience datant du 14 juillet… nous avons dit auparavant que c’est vraiment aux juges de déclencher l’application de la Règlementation procédurale numéro 55 [qui stipule la procédure à suivre pour modifier la qualification des infractions existantes], et nous effectuerons les démarches appropriées en temps voulu. Malheureusement, je dois m’arrêter ici parce que cette affaire est actuellement en train d’être débattue.

RI : Puisque le procès s’est si fortement penché sur la violence sexuelle, pourquoi ces accusations n’ont-elles pas été soumises dès le début ?

FB :  En premier lieu, je désire dire que nous avons mené une enquête approfondie. Nous avons rassemblé de grandes quantités de preuves, qui ont à leur tour produit de nombreuses pistes. En février 2006, le bureau a pris la décision que nous allions inculper Lubanga pour le recrutement et la conscription d’enfants. À ce moment, la possibilité de procéder à l’arrestation de Lubanga s’est présentée et les preuves que nous croyons suffisamment concluantes portaient sur le recrutement et la conscription d’enfants.  [Nos enquêtes] se déroulèrent dans des circonstances très difficiles [en terme de] défis concernant la sécurité et la gravité de risques encourus par les victimes.  Étant donné ces défis…et, [avec] la date de l’audience de « confirmation des chefs d’accusation » se rapprochant, nous devions prendre une décision. Nous avons décidé que le dossier des enfants-soldats était très solide… et c’était des preuves que nous pouvions présenter avec assurance à la Cour… et nous avons agi.

RI : Certains observateurs ont remarqué que vous auriez pu porter des accusations de violence sexuelle même après l’audience de confirmation des chefs d’accusation. Que répondez-vous à cela ?

FB : Je répéterais ce que je viens de dire à l’instant. En qualité de procureur, il faut être très sûre des accusations que vous portez.  Ce que l’on peut dire à la presse au sujet des crimes commis est tout à fait différent des preuves que vous présentez devant les juges. Je pense que, même parès l’audience, [les gens] parlent de ces chefs d’accusation actuels comme s’ils étaient sans importance. Je ne suis pas d’accord. Je pense au contraire qu’ils sont très importants. Je pense que ceux-ci sont très graves et ont beaucoup attiré l’attention sur ce type de crimes – non seulement localement, mais au niveau international également.   Et ce qu’ont dû subir les enfants – la vie de ces enfants-soldats – a été clairement étalé au cours de ce procès. Je pense que nous avons retenu les chefs d’accusation pour lesquels nous avions des preuves.

RI : L’esclavage sexuel et les traitements cruels et inhumains désormais peuvent désormais être ajoutés à la mise en accusation. Pouvez-vous nous donner une idée de la position du procureur dans cette affaire ?

FB : Cette affaire est actuellement devant la Cour. Nous effectuerons les démarches nécessaires [auprès des juges] et nous prendrons position [à ce moment].

RI : Pourriez-vous en dire davantage sur ce qui s’est passé avec le premier témoin ? Tout le monde se rappelle lorsqu’il a rendu le témoignage et a déclaré avoir menti aux enquêteurs et qu’on lui avait indiqué quoi dire.

FB :  Le principal problème qui s’est posé avec le premier témoin était que nous n’avions pas suffisamment de mesures de protection dans la salle d’audience afin que le témoin ne se sente pas intimidé ou traumatisé.

RI : Faites-vous référence au fait que le témoin est rentré et que Lubanga pouvait le regarder droit dans les yeux ?

FB : Oui. [Le témoin] est entré et au début de son témoignage, il a pu voir Lubanga, et Lubanga pouvait le voir également. Beaucoup de choses ont changé depuis lors, et des mesures ont été mises en place, afin que les témoins ne soient pas obligés [de se retrouver face-à-face devant Lubanga], surtout les témoins vulnérables. Je pense que nous avons tiré des leçons avec le premier témoin—qui, en passant, a comparu une seconde fois et a fourni de très bonnes preuves. [Le processus visant à déterminer des mesures de protection] est toujours en phase d’élaboration, mais en ce qui concerne les témoins qui ont suivi [le premier], je pense que les choses se sont plutôt bien déroulées. Je pense que la chambre, les parties ainsi que les participants ont été en mesure de s’adapter aussi rapidement qu’ [ils] le pouvaient.

RI:  Je peux m’imaginer que si un témoin comparaissait et voyait le regard de Lubanga fixé sur lui ou sur elle, cela pourrait être une expérience vraiment terrifiante. Mais lorsque Lubanga n’est amené dans la salle d’audience qu’après que le témoin ait déjà pris place et que celui-ci soit caché de la vue de tous, ne pensez-vous pas que cela puisse porter préjudice à l’accusé ?

FB : Faisant partie de l’équipe du procureur, je veux m’assurer que justice soit rendue à toutes les parties. Peut importe si je me trouve du côté de la mise en accusation ou de la défense, nous devons faire en sorte que le procès soit équitable. Les voix et les visages des témoins ont été modifiées et leurs véritables noms n’ont pas été introduits dans la salle d’audience. Mais il nous faut parler clairement : nous dissimulons tout ceci au public, mais non à Lubanga ni aux avocats de la défense.  Lubanga dispose d’un moniteur d’ordinateur placé devant lui.  Ainsi que les avocats de la défense.  Ils sont en mesure de voir le comportement du témoin à tous instants.  L’identité de la personne est connue de Lubanga, ainsi que de la défense.  Comme je disais auparavant, Lubanga est en mesure d’assister à la présentation de leur témoignage.  Même en l’absence de contact direct face-à-face, il peut les voir.

RI : Il y a eu beaucoup de séances à huis clos.  Je comprends qu’il est nécessaire de protéger une grande quantité d’informations sensibles, mais pour des observateurs, cela peut se révéler frustrant de ne pas pouvoir assister à une journée entière de débats.

FB : Lorsque le procès est en cours, nous prenons tous au sérieux l’engagement de protéger le témoin. Même la défense, lorsqu’elle questionne un témoin, a parfois ceci à dire :   « Pour la série de questions qui va suivre, nous devrons passer à une session à huis clos. » Ils sont conscients de devoir partager notre responsabilité à assurer la protection des témoins.  Je sais que le nombre élevé de sessions à huis clos doit être très frustrant, mais il est certaines informations… qui, une fois dites, peuvent facilement renvoyer le témoin.

La chambre a été très transparente et a demandé aux parties, de garder public ce procès autant que possible. Toutes les parties et les participants, ainsi que la chambre, se sont évertués à le garder aussi public que possible, mais la sécurité d’un témoin est primordiale. L’obligation et le devoir que la chambre et les parties ont envers les témoins constituent notre priorité. Rien de ce qui se passe à huis clos n’est dissimulé à la défense.

RI : Que s’est-il passé avec le Témoin numéro 15, qui est venu témoigner le 16 juin et aurait plutôt déclaré avoir fourni un faux témoignage au Bureau du Procureur (OTP) ?

FB : Le témoin numéro 15 comparut et avant même de déposer, il déclara avoir fait une fausse déclaration au procureur.  La chambre suspendit immédiatement le témoignage et affirma que sa déclaration devait être reprise en fonction des faits qui se seraient réellement passés.  Ce qui fut fait.  La déclaration est entre les mains de la défense, de la chambre et du procureur.  Je pense que ce témoin reviendra [lors de la reprise du procès en octobre].

RI : Savez-vous dans quel but ? Comme témoin de la défense ou du procureur ?

FB : C’est à la chambre de trancher la question. Les deux parties en ont déjà discuté et nous continuons d’examiner la question. La chambre n’a pas encore donné sa décision finale, mais je crois qu’il reviendra.

RI : A-t-il menti ou a-t-il eu peur de quelque chose ? Ou les deux à la fois ?

FB : Je ne suis pas autorisée à en parler. Tout sera mis à jour en octobre. Un peu patience !

RI : Il s’agit du premier procès se tenant à la CPI et vous étiez présente presque tous lesjours.  Quel aspect du procès, selon vous, s’est révélé le plus intéressant ou le plus difficile à surmonter jusqu’à présent ?

FB :  Comme vous l’avez déjà mentionné, il s’agit du premier procès de la CPI. Il ne s’agit pas de réinventer la roue, parce que ne partie de ces choses se sont déroulées dans d’autres tribunaux [internationaux].  Mais il existe certaines différences par rapport à la CPI. Par exemple, le problème de la participation des victimes est très intéressant [parce que c’est la première fois que des victimes ont pu participer à des poursuites devant un tribunal international.  Leur avocats sont présent dans la salle chaque jour et peuvent défendre la cause de leurs clients, interroger les témoins et soumettre des requêtes].

Je pense que les deux chambres – la chambre pour la phase précédant l’instruction et la chambre d’instruction – ont longtemps réfléchi sur la manière de mener [le procès]. Les modalités et la portée ont été complétées en grande partie. Je pense qu’il s’agissait d’un défi à relever pour nous tous, mais ce qui est intéressant c’est la participation complète des victimes au procès. Il ne s’agit pas d’un privilège – mais d’un droit qu’ils possèdent en vertu de la Règlementation constitutive de [Rome qui régit la CPI]. Aucun d’entre nous ne savait réellement comment tout allait se dérouler pour terminer, mais je pense que les choses se passent plutôt bien. La chambrer contrôle le cours du procès en leur accordant les droits qu’ils possèdent, tout en limitant ce qu’ils peuvent faire. Je pense qu’il est positif que les choses se déroulent ainsi et [que les avocats des victimes puissent] examiner les témoins.

RI : Il est intéressant de vous entendre dire cela, parc que j’ai entendu dire que les représentants des victimes sentaient parfois que le Bureau du Procureur n’était pas très enthousiaste à l’idée de leur participation.

FB : Il s’agit là d’une impression fausse.  Je pense, que tout au long des débats, à chaque fois que nous avons voulu divulguer des informations aux victimes, nous l’avons fait sans aucun problème. Les représentants des victimes nous ont consultés à plusieurs reprises.  Le Bureau du Procureur n’a pas de réserve au sujet de la participation des victimes.  Bien au contraire, nous avons essayé de la favoriser autant que nous le pouvions.

[Pour en savoir plus sur la vue de la défence, cliquez sur le lien suivant: http://french.lubangatrial.org/2009/09/24/entretien-avec-catherine-mabille-avocat-de-la-defense-de-thomas-lubanga/]

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2 commentaires

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    Pingback par Entretien avec Catherine Mabille, avocat de la défense de Thomas Lubanga « Le procès de Lubanga devant la Cour pénale internationale — 29 Septembre 2009 @ 07:40

  2. Comment pouvez vous, Cher Madame, esperer une justice equitable lorsque ceux qui sont au pouvoir intimident “les vaincus” pour les empecher d aller se plaindre des crimes qu ils ont subis. 1/ Savez vous qu une femme vivant a Yopougon a son enfant dans les mains des FRCI qui ont pris cet enfant en otage parce que la femme voulait aller signaler qu elle a ete VIOLE par un soldat FRCI qu elle a reconnu la semaine derniere? 2/ ceux qui sont actuellement en Residence surveillee ou dans les hotels par la volonte des vainqueurs par les armes, n ont pas aussi des plaintes a formuler? 3/ ouvrez un telephone anonyme et gratuit, votre mission sera plus noble. Merci et que Dieu vous aide dans cette tache qui doit vous amener de faire arreter l impunite qui a commence depuis 1990, date du debut du multipartisme et dont les pics sont 1992, arrestation de GBAGBO par Ouattara, 1993 mort d Houphouet et tentative de confiscation du pouvoir par Ouattara alors 1er Ministre, ce qui a suscite le courroux de Bedie qui a invente le concept d IVOIRITE. 1995 election de Bedie avec exclusion de tous les autres candidats serieux. 1999, 1er Coup d etat dont on a jamais su qui sont les commaditaires. 2000, election de Gbagbo dans des “conditions calamiteuses”. 2001, tentative de coup d etat contre Gbagbo, 2002, 2eme tentative de Coup d etat contre Gbagbo qui se meut en rebellion etc…. Toutes ces situations ont entraine des crimes qu on a jamais elucide et pire qui ont fait la promotion de certaines personnes au poste de ministres alors qu elles ont a peine le bac au point que de plus en plus les eleves et etudiants disent qu il n est plus nescessaire de faire de longues etudes, d ailleurs y a plus de boulot donc Si on veut avoir de l argent il y a DEUX VOIES ROYALES: LES ARMES ET LE FOOT BALL Je vous apprecie beaucoup et souhaite de tout coeur que vous aidiez notre pays a sortir de ce cercle vicieux qui dure depuis 1990. Dieu vous conduise.

    Commentaire par Hassan Ouattarra — 29 Juin 2011 @ 05:04