Analyse juridique

15 Mai 2009

Un expert expose l’impact psychologique de la vie militaire sur les enfants

Par Jennifer Easterday

Le procès de Thomas Lubanga Dyilo a commencé fin janvier et a permis d’entendre jusqu’à présent le témoignage de près de 20 témoins. Au terme de ce procès, les juges devront examiner la crédibilité des témoins afin d’évaluer la crédibilité de leur témoignage.

La crédibilité est basée en partie sur les déclarations des témoins et sur la vraisemblance de celles-ci mais également sur la manière dont ils se sont exprimés et sur leur comportement devant la Cour.

Lubanga est accusé de la conscription et de l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans des groupes armés ainsi que de l’utilisation d’enfants ayant pris une part active dans le conflit armé entre juillet 2002 et décembre 2003. C’est pourquoi la plupart des témoins sont des ex-enfants soldats.

Les avocats de la défense de Lubanga ont attaqué leurs témoignages en les qualifiant de douteux et en soulignant les incohérences et les trous de mémoire. Certains ex-enfants soldats, lors du contre-interrogatoire détaillant leur témoignage, ont éprouvé des difficultés à répondre aux questions ou à fournir des preuves concordantes.

L’accusation a déposé récemment un rapport rédigé par la psychologue Elisabeth Schauer, directrice de Vivo International, intitulé « The Psychological Impact of Child Soldiering » (L’impact psychologique de la vie militaire sur les enfants). Le rapport présente plusieurs études réalisées sur des enfants soldats et sur les troubles psychologiques qui peut les affecter. Schauer a également fournit des recommandations destinées aux enfants soldats témoignant lors de procédures légales.

Il est probable que le témoignage de Schauer ait été proposé par l’accusation afin de démontrer la crédibilité de la déposition de leurs témoins. Les conclusions de Schauer suggèrent que bien que les ex-enfants soldats qui témoignent peuvent sembler ne pas être en mesure de raconter leur histoire de manière satisfaisante et véridique, ils sont, en réalité, tout à fait capables de fournir un témoignage crédible.

Son rapport peut aider les juges à identifier les défis spécifiques que les enfants soldats rencontrent lorsqu’ils témoignent et par conséquent leur permettre de mieux comprendre et interpréter leurs dépositions.

Prévalence d’enfants soldats

Schauer a indiqué dans son rapport que les enfants avaient été largement recrutés en tant que soldats. Ils ont été enlevés, recrutés de force et certains ont rejoint volontairement les groupes armés pour échapper à la pauvreté, aux mauvais traitements ou par vengeance. Schauer a soutenu, toutefois, que le choix d’un enfant de rejoindre un groupe armé ne peut être considéré comme « volontaire » d’un point de vue psychologique.

Cette analyse pourrait permettre aux juges d’évaluer la déposition des témoins qui déclarent avoir rejoint l’UPC volontairement.

Un témoin a indiqué à la Cour, « nous n’avions rien à faire, c’est pourquoi nous sommes allés avec [les soldats] ». Bien qu’à l’époque, il ne savait pas ce que le service militaire signifiait, il a souligné devant la Cour que « je n’ai pas été enrôlé de force et je souhaite le confirmer ». Un autre témoin ayant rejoint volontairement l’UPC a déclaré à la Cour, « je considérais mon commandant comme un supérieur mais également comme quelqu’un de ma famille ».

Lubanga pourrait être déclaré coupable d’enrôlement d’enfants soldats indépendamment du fait que le service militaire était volontaire ou forcé. La défense pourrait toutefois tenter de discréditer le témoignage des enfants soldats qui se sont engagés volontairement en attaquant leur personnalité ou en démontrant qu’ils ont une propension à la violence. Par conséquent, les conclusions de Schauer peuvent permettre à l’accusation d’écarter les suggestions de parti pris ou de témoignages invraisemblables faites par la défense.

L’exposition aux traumatismes entraîne un risque plus élevé de troubles psychologiques

Les enfants de la guerre et les enfants soldats sont un groupe particulièrement vulnérable et souffrent fréquemment, et sur le long terme, des conséquences dévastatrices de ce qu’ils ont vécu ou des actes de violence auxquels ils ont assistés », a écrit Schauer.

Selon Schauer, les enfants soldats, garçons et filles, sont utilisés en tant que combattants, domestiques ou pour fournir des services sexuels.

Un ex-enfant soldat a décrit comment il avait été puni en étant enfermé dans un trou pendant plus d’une semaine et en étant nourri une fois par jour. Un autre témoin a déclaré à la Cour que les enfants soldats étaient forcés de tuer et de mutiler leurs victimes et qu’ils étaient battus simultanément par plusieurs commandants. D’autres témoins ont raconté avoir été violés, avoir été contraints de violer et avoir subi des conditions de vie épouvantables à l’UPC.

L’exposition à des expériences traumatisantes répétées peut entraîner des troubles psychologiques et comportementaux qui peuvent perdurer pendant toute la vie de l’enfant et même affecter les générations suivantes.

« Un seule expérience effroyable avec des réminiscences douloureuses peut abîmer la psyché pour des décennies », signale Schauer.

De nombreuses études ont conclu que les enfants soldats ont un risque beaucoup plus élevé de développer un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Le TSPT se caractérise par des symptômes tels que des souvenirs ou des cauchemars récurrents de l’évènement traumatique, une passivité, une fuite devant les stimuli associés à l’évènement, des problèmes alimentaires et de sommeil, une prise de risque exacerbée, un dédoublement de la personnalité, un repli sur soi ainsi que des problèmes physiques tels que des maux de tête ou d’estomac.

Défis spécifiques liés au témoignage à la barre

Schauer a fourni plusieurs recommandations pour les ex-enfants soldats cités à comparaître. Elle a indiqué que les traumatismes et le TSPT peuvent interférer avec la capacité de témoigner. Se remémorer de tels moments traumatiques peut provoquer une grande souffrance pour le témoin, la douleur étant proportionnelle au niveau de sévérité des symptômes traumatiques. Schauer a écrit :

« Les survivants traumatisés éprouvent souvent des difficultés à révéler la totalité de leurs expériences traumatiques. [Ils] peuvent être limités dans leur capacité de décrire verbalement les évènements en détail et dans un ordre chronologique, non pas parce qu’ils ne se souviennent pas de ce qui s’est passé mais parce qu’ils entrent dans un état de forte anxiété, visible ou ressenti physiologiquement par l’enfant sous la forme de tremblements, de transpirations, de tachycardie, de maux de tête [ou] de douleurs corporelles.

« Les émotions ressenties par les enfants lors de l’évocation des événements peuvent varier entre l’anxiété, la colère, le dégoût et l’impuissance. La difficulté est qu’inévitablement les enfants témoins potentiels qui ont assisté aux évènements les plus nombreux et les épouvantables sont également ceux qui sont [sic] probablement les plus affectés par leurs expériences.

Schauer a conclu que les témoins souffrant de TSPT éprouvaient des difficultés à raconter leur histoire. Cette description permettra aux juges d’évaluer la crédibilité des témoins qui parlent rapidement, qui sont nerveux ou qui se comportent curieusement lors du témoignage. Plutôt que des indices de mensonge, le rapport de Schauer démontre que ces manifestations sont une réaction normale lorsque les enfants évoquent des évènements traumatisants.

Ces problèmes peuvent être toutefois évités ou amoindris en utilisant ce que Schauer dénomme un « processus thérapeutique de témoignage ».  Elle recommande une séance thérapeutique préalable au passage du témoin en salle d’audience durant laquelle l’enfant est interrogé sur les mêmes évènements particuliers que ceux qui seront ensuite évoqués devant la Cour. Cela permettrait à l’enfant de se remémorer les évènements de manière plus claire et plus complète, dans un ordre chronologique, ce qui pourrait réduire le stress lié à l’évocation d’évènements traumatisants.

Schauer a fait remarquer que ces séances pourraient être enregistrées en vidéo afin de s’assurer que le témoignage n’est pas modifié.

Cependant, en raison d’une décision de novembre 2006 relative à la phase préalable au procès interdisant ce type de témoignage, ces séances sont prohibées lors du procès de Lubanga.

En se fondant sur le rapport de Schauer, cette décision concernant la phase préalable pourrait avoir de graves conséquences sur la qualité des témoignages présentés ainsi que sur l’équilibre psychologique des témoins qui sont contraints de raconter pour la première fois leurs expériences traumatisantes devant la Cour, soit dans un environnement austère et étranger.

La rétractation du premier témoin ainsi que les problèmes psychologiques rencontrés à la barre par les ex-enfants soldats sont une illustration des effets de cette décision. Lors de son retour à la barre quelques jours plus tard, le témoin a déclaré que le premier jour « beaucoup de choses avait traversé mon esprit. J’étais en colère et je n’étais plus capable de témoigner ».

Non seulement un coup a été porté à l’accusation mais la Cour a perdu un temps précieux et des ressources en tentant de remédier à la situation.

Assistance aux témoins lors du témoignage

Si un enfant est victime d’une perte de mémoire ou d’un problème psychologique lors de son témoignage, Schauer recommande que la Cour prenne des mesures pour aider le témoin. Cela implique qu’il soit nécessaire de poser des questions directes et détaillées sur le contexte de l’évènement ou d’arrêter le témoignage afin que le témoin puisse récupérer.

Elle a également recommandé d’avoir un “compagnon de soutien » à la Cour, quelqu’un qui pourrait être invité à tenir les mains du témoin, à le rassurer et qui pourrait apporter réconfort et soutien à l’enfant durant ces épisodes.

De plus, « les enfants ne devraient pas être invité à témoigner directement en présence de l’accusé », a-t-elle écrit. Elle suggère que le témoignage soit effectué dans une autre salle via un lien vidéo ou qu’au moins une barrière visuelle soit placée entre l’enfant et l’accusé.

Bien que la CPI ait adopté des règlements, procédures et décisions permettant de telles mesures, aucun des enfants soldats ayant témoigné n’a bénéficié d’un lien vidéo ou d’un conseiller psychologique dans la salle d’audience. Toutefois, après les problèmes rencontrés avec le premier témoin, ils ont été autorisés à témoigner derrière un écran, protégé du regard de l’accusé.

Elle a enfin suggéré que les enfants témoins reçoivent des encouragements par oral pendant leur témoignage sous forme de phrases telles que « je comprend très bien ce que vous me dîtes », « c’est une bonne description » ou « vos explications sont utiles ». Schauer écrit que cela devrait permettre aux enfants de se sentir encouragés et ainsi réduire leur anxiété.

Lorsque le premier enfant soldat est revenu sur son témoignage, le juge président a mis en garde les parties en précisant que lorsque l’enfant reviendrait déposer, « l’interrogatoire devra être autant que possible sans confrontations et sans pressions ».

Le témoin a été autorisé à raconter librement son histoire, ce qui n’est pas permis habituellement. Le juge président a également encouragé la déposition du témoin, en lui disant « vous y êtes très bien arrivé. J’aimerais m’exprimer aussi bien que vous ».

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